Alors que la France semble enfin voir ses capacités de génération de biogaz décoller – avec pas moins de 152 nouveaux méthaniseurs sur notre territoire en 2021 – et que l’invasion Russe de l’Ukraine nous pousse tous à diminuer rapidement et massivement nos consommations de gaz fossile, il m’est apparu important de traduire dans ma langue maternelle et publier ici cet article d’introduction au biogaz. La version originale avait été publié sur Medium, puis ici-même en 2019. J’en ai profité pour rajouter divers chiffres et informations sur le contexte national.
Si l’énergie solaire photovoltaïque et l’énergie éolienne font les gros titres jour après jour, une autre révolution de l’énergie propre se déroule en silence. De New York à Nairobi, des communautés rurales de Chine au cœur de l’Union Européenne, les solutions de biogaz et de digestion anaérobie (DA) sont de plus en plus importantes et courantes.
La digestion anaérobie est un processus biologique naturel qui décompose la matière organique dans un environnement sans air, ce qui entraîne la production de méthane et de dioxyde de carbone (entre autres, voir ci-dessous). Capter et utiliser à bon escient ces émissions de méthane provenant de nos nombreux flux de déchets pourrait limiter considérablement le changement climatique. Selon le GIEC, ce gaz à effet de serre est 86 fois plus puissant que le dioxyde de carbone sur une période de vingt ans (et 34 fois plus puissant sur un siècle).
Le gaz naturel renouvelable (GNR) est une technologie mature qui est en train de devenir un élément clé de la transition énergétique mondiale dont nous avons tant besoin et de la création d’une économie circulaire. Employant déjà plus de 300 000 personnes dans le monde, ce secteur exploite durablement divers flux de déchets et les transforme en produits de valeur et en flux de revenus, fermant ainsi les boucles de nombreux systèmes. Il peut également générer à la demande de grandes quantités d’énergie à faible teneur en carbone, lorsque le soleil ne brille pas et que le vent ne souffle pas.
On trouve les matières premières du biogaz partout
Les communautés rurales et urbaines bénéficient déjà de digesteurs de biogaz. Il s’agit d’un avantage majeur, car la technologie traite différents types de matières précieuses qui sont habituellement gaspillées.
Les déchets alimentaires des producteurs, des détaillants et des consommateurs. Plus d’un tiers de la production alimentaire mondiale, soit 1,3 milliard de tonnes de nourriture par an, est gaspillée. Cela représente 4,4 gigatonnes d’équivalent CO2 par an, soit 8 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre d’origine anthropique. En France, selon le Ministère de la Transition écologique, 10 millions de tonnes de produits par an sont gaspillés, soit une valeur commerciale estimée à 16 milliards d’euros.
Si la quantité de déchets alimentaires doit être divisée par deux avant 2030 pour répondre aux Objectifs du Développement Durable, l’utilisation d’une partie de toute cette matière organique à des fins utiles pourrait être la meilleure solution à court terme. On estime que 580 kg d’équivalent CO2 peuvent être économisés pour chaque tonne de déchets alimentaires détournée de la mise en décharge vers un digesteur anaérobie lorsque le biogaz obtenu est utilisé pour remplacer le gaz naturel.
Le fumier des animaux. Une seule vache produit suffisamment de méthane pour alimenter une ampoule à incandescence de 100 W (ou huit ampoules LED efficaces). Ainsi, le fumier du milliard de vaches dans le monde pourrait produire suffisamment d’électricité pour alimenter une ampoule LED 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 pour chaque être humain. Les exploitations porcines et avicoles produisent déjà de grandes quantités d’énergie grâce à ce procédé dans le monde entier. Le plus grand producteur de porc au monde investit des centaines de millions de dollars pour convertir les émissions de méthane de son fumier en gaz naturel renouvelable. Cette initiative devrait permettre de capter plus de 85 000 tonnes de méthane par an, ce qui équivaut à retirer 1,5 million de voitures de la circulation.
Les eaux usées et les eaux d’égout sont également des matières premières potentielles pour les biodigesteurs. Présentés comme la “source ultime d’énergie renouvelable” par The Guardian, les déchets humains sont un excellent combustible qui, selon les Nations Unies, pourrait fournir de l’électricité à 138 millions de ménages dans les pays en développement où plus d’un milliard de personnes n’ont toujours pas accès à l’électricité.
Parallèlement, plus de 80 % des eaux usées dans le monde sont rejetées sans traitement, ce qui contribue à une pollution massive de l’eau et des sols. Les zones mortes sont un problème important dans le monde entier et l’introduction du traitement des eaux usées et des digesteurs de biogaz dans les systèmes d’assainissement des pays en développement changerait la civilisation, en sauvant potentiellement des millions de vies par an tout en générant des quantités massives d’électricité à faible teneur en carbone.
Les décharges représentent une autre possibilité d’exploiter le biogaz. Jeter des milliers de tonnes de déchets de toutes sortes produit de grandes quantités de méthane. On estime que 12 % de toutes les émissions anthropiques de méthane proviennent des décharges. Couvrir les décharges actuelles et anciennes et les équiper de solutions de récupération du méthane peut contribuer à rendre les communautés plus résilientes. De plus, une fois couvertes, les décharges peuvent accueillir des fermes solaires.
Les quatre sources de revenus de la digestion anaérobie
Un autre avantage de la production de biogaz par digestion anaérobie réside dans ses multiples sous-produits qui peuvent être utilisés pour générer des revenus :
Le méthane, un puissant gaz à effet de serre, constitue les deux tiers du biogaz. Ce gaz véritablement naturel peut être brûlé tel quel pour cuire les aliments, produire de l’électricité et chauffer les bâtiments. Le biogaz peut également être transporté et vendu avec le gaz naturel d’origine fossile une fois qu’il a été débarrassé de son dioxyde de carbone et d’autres gaz.
Le dioxyde de carbone représente jusqu’à un tiers du biogaz et pourrait constituer une autre source de revenus pour les opérateurs. Il est en effet nécessaire dans de nombreuses industries et applications, notamment dans l’alimentation et les boissons (sodas, etc.). La récupération du dioxyde de carbone est en effet financièrement viable pour les grandes installations si un acheteur potentiel se trouve à proximité.
La digestion anaérobie produit également des quantités massives de digestat. Cet engrais peut aider l’agriculture locale à devenir plus durable et moins dépendante des combustibles fossiles. La plupart des engrais commerciaux sont un sous-produit du gaz naturel et contribuent ainsi à l’urgence climatique à laquelle nous sommes confrontés.
La production d’électricité à partir de biogaz crée également de la chaleur utilisable. Celle-ci peut être utilisée pour chauffer des serres ou d’autres bâtiments, ou, comme je l’ai vu dans une ferme en Lorraine, pour sécher le foin. Si elle est bien conçue, une centrale de cogénération au biogaz peut garder des villages ou des quartiers entiers au chaud pendant l’hiver.
Il existe des biodigesteurs de toutes les tailles
Voici un autre avantage considérable de la production de biogaz : il en existe de toutes les tailles et vous pouvez même construire le vôtre en suivant ces instructions. Cela signifie que les familles et les petites communautés peuvent les utiliser, mais aussi les gros utilisateurs comme les entreprises ou les municipalités. Les petites exploitations agricoles et les villages isolés ainsi que les îles qui importent du diesel pour leurs besoins en électricité peuvent bénéficier d’une production locale de biogaz.
L’Organisation Mondiale de la Santé estime que quatre millions de personnes meurent chaque année de la pollution de l’air intérieur due à la cuisson sur des fourneaux inefficaces et insalubres utilisant du bois de chauffage, du charbon, du kérosène ou des déjections animales. La cuisson au biogaz améliore considérablement la qualité de l’air intérieur. Les ménages des pays en développement utilisent déjà les différents flux de déchets locaux pour générer du biogaz sur place pour la cuisson.
Au cours des dernières décennies, la Chine a installé 30 millions de petits biodigesteurs pour aider les populations rurales à faire face à la pauvreté énergétique, à la déforestation et aux soins de santé. Au total, 6,5 milliards de mètres cubes de biogaz ont été produits de cette manière en 2005 et on estime que le biogaz dessert près de 22 % de la population rurale chinoise. L’Inde s’est éveillée au potentiel de cette source d’énergie pour résoudre ses différents problèmes.
Des modèles plus grands sont disponibles pour les entreprises et les collectivités de taille moyenne, les écoles ou les universités. Par exemple, la société Impact Bioenergy, basée à Seattle, vend des biodigesteurs produisant plus de 100 kWh par semaine et produisant 2 800 litres d’engrais de haute qualité par semaine avec une capacité de trois tonnes métriques d’alimentation. (Divulgation complète : j’ai travaillé sur leur campagne Kickstarter en 2015).
À l’extrémité du spectre des tailles, on trouve des installations de plusieurs millions de dollars, comme ce biodigesteur de 50 millions de dollars qui est en cours de construction à New York et qui ” shuntera chaque année plus de 23 000 tonnes de déchets alimentaires de la ville “. En Finlande, la compagnie nationale de gaz agrandit l’une de ses usines pour 30 millions d’euros afin de traiter 110 000 tonnes de biomasse et de produire 60 GWh d’électricité par an.
L’énergie issue du biogaz est déjà compétitive en termes de coûts
Pour les systèmes de plus grande taille, les biodigesteurs sont déjà compétitifs en termes de coûts uniquement sur l’énergie qu’ils produisent. Une étude de l’IRENA (2017) souligne que le coût nivelé de l’énergie (LCOE) peut être aussi bas que trois ou quatre centimes d’euros par kWh, ce qui le rend très compétitif par rapport au gaz naturel et au charbon. De même, NPR rapporte que le coût de l’électricité produite à partir de biogaz de porc pourrait être aussi bas que cinq cents US par kWh.
Le coût dépend de multiples facteurs, tels que la disponibilité et le coût des matières premières et la taille de l’installation. Comme pour les autres sources d’énergie renouvelables, les prix continueront à baisser à mesure que la technologie s’améliorera et que la pénétration du marché augmentera. Selon le groupe de travail de l’AIE sur la bioénergie, cela contribue à faire varier les périodes de récupération simples de deux à six ans dans diverses études de cas.
Si la compétitivité des coûts de l’énergie produite n’était pas déjà suffisante, la monétisation des engrais, du dioxyde de carbone ou de la chaleur générés par la production de gaz naturel renouvelable peut constituer une source de revenus supplémentaire. Cela permet de s’assurer que ces projets sont économiquement viables. En outre, l’utilisation de nos déchets alimentaires et d’autres matières compostables dans des biodigesteurs locaux permet d’économiser de l’argent en évitant de transporter les déchets et de les éliminer au loin. Il s’agit là d’une autre source importante d’économies, puisqu’un tiers des déchets solides municipaux pourrait aller dans des biodigesteurs. (Le compostage, qui est une digestion aérobie, ne capte pas le méthane, mais reste préférable à la mise en décharge).
Ce n’est que le début de la révolution du biogaz.
Le biogaz et la digestion anaérobie traitent de nombreux flux de déchets différents et les transforment en profits, existent dans toutes les tailles et sont déjà compétitifs en termes de coûts. Les villes et les communautés du monde entier peuvent accroître leur résilience tout en réduisant la pollution et le changement climatique. La technologie deviendra également plus compétitive au fur et à mesure que les préoccupations concernant la fracturation hydraulique et sa pollution s’intensifieront et que des taxes sur le carbone et des stratégies de transition énergétique seront adoptées dans le monde entier.
Cette solution systémique est actuellement en pleine expansion, tant dans les pays riches que dans les pays en développement. Selon l’Agence internationale de l’énergie, la capacité mondiale a presque triplé entre 2008 et 2017 et continuera très probablement son expansion dans les années et les décennies à venir, car le monde demande de plus en plus de ressources énergétiques distribuées pour compléter l’énergie solaire et éolienne et réduire les émissions de gaz à effet de serre.